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Sarkozy, le révolutionnaire d'opérette
Sarkozy, le révolutionnaire d'opérette
MEDIAPARTQuand en 1995, à la veille de l'élection présidentielle, le candidat Jacques Chirac
avait construit un étrange programme, écrit pour moitié par l'hétérodoxe
Philippe Séguin, flanqué d'un conseiller encore inconnu, Henri Guaino,
et pour l'autre moitié par le très libéral Alain Madelin ;
et qu'il avait ensuite battu la campagne, appelant un jour à réduire la fracture sociale,
le lendemain à réduire les déficits publics, il s'était attiré à juste titre
les moqueries des humoristes. Sur un registre dont on se souvient
: imprévisible Jacques Chirac! Il était devenu le fils spirituel de Margaret Thatcher et de Georges Marchais.
A écouter, Nicolas Sarkozy, jeudi, à Toulon, définir les priorités de sa politique économique,
c'est un peu la même réflexion qui traversait à l'esprit.
Car il a fait indéniablement un étrange discours, marqué de folles embardées.
Avec par moments des tirades enflammées contre le capitalisme,
très fortement teintées de souverainisme. Et, puis, quand il a fallu en venir
aux propositions concrètes, le ton est soudainement retombé.
Le propos est alors devenu terne. D'une orthodoxie à pleurer.
Sans souffle. En bref, d'un classicisme désespérant.
Des effets de tribune, Nicolas Sarkozy, avec l'aide du même Henri Guaino
, en a donc fait d'innombrables, pronostiquant «la fin d'un monde»,
celui de la finance sans contrôle ; dénonçant une «idée folle»,
celle de «la toute puissance des marchés»;
s'indignant de ce système avantageant «le spéculateur plutôt que l'entrepreneur»
un peu avec la même sincérité que François Mitterrand dénonçant
en d'autres temps «ceux qui s'enrichissent en dormant».
Oubliant au passage qu'il a été l'une des figures déterminantes
de cette génération de responsables politiques qui,
dans le milieu des années 1980, a chanté les louanges,
avec Edouard Balladur, des privatisations ou de la déréglementation bancaire,
financière et boursière; ou les vertus, ensuite, avec son ami Alain Minc,
de «la mondialisation heureuse». De la mondialisation accélérée et dérégulée...
Oubliant tout cela, Nicolas Sarkozy a donc promis des jours meilleurs.
Pas tout à fait le grand soir, mais pas loin : «Le laissez-faire, c'est fini!»
Mais après ces grandes envolées, qu'a-t-il annoncé?
Pas grand choses, pour ne pas dire rien du tout.
Rien de bien nouveau en tout cas; rien de très concret.
Faisons les comptes des dossiers, dans l'ordre où le chef de l'Etat
les a lui-même évoqués. Très volontariste, il a ainsi annoncé qu'il fallait
«réglementer les banques», et que la France n'échapperait pas à cette réflexion :
«L'Etat jouera un rôle actif.» Mais de qui parlait le président: de Dexia, de Natixis ?
Ou d'autres, au risque d'affoler les Français sur la situation de leurs banques?
Et que fera précisément l'Etat? Mystère: le ton était énergique; la mesure concrète évanescente.
«Nous allons décider de contrôler les agences de notation», a encore tonné le chef de l'Etat.
Mais comme la chancelière allemande, Angela Merkel,
défend le projet depuis bientôt deux ans et qu'il n'a depuis que très peu avancé,
on se prenait à penser, en écoutant Nicolas Sarkozy, qu'il se réveillait bien tard.
Et qu'au train où vont les choses avec cette réforme, les belles promesses n'engagent,
comme toujours, que ceux qui y croient...
Le verbe haut, avec autorité, le chef de l'Etat a aussi annoncé
que l'on pouvait compter sur lui pour se battre pied à pied contre la récession,
si d'aventure elle gagnait du terrain, si l'activité fléchissait:
«Je n'hésiterai pas à prendre les mesures nécessaires.»
Mais on a aussitôt compris que, dans l'immédiat,
il n'y aurait aucune mesures concrètes nouvelles, puisqu'en vérité, elles étaient déjà prises...
depuis plus d'un an. Formidable tour de bonneteau: le chef de l'Etat
a ainsi fait passer les mesures de juillet 2007 en faveur des très hauts revenus,
comme la quasi suppression des droits de succession ou
l'allègement de l'impôt de solidarité sur la fortune
comme une arme... anti-récession. Gonflé!
Preuve d'ailleurs, qu'il n'y a pas de mesures miracles à attendre,
Nicolas Sarkozy a aussi entonné une ode à la rigueur et au désendettement :
«On ne peut pas de dispenser des efforts nécessaires
pour surmonter la crise.» Du Chirac pur sucre, décidément.
Au passage, Nicolas Sarkozy a d'ailleurs fait un clin d'œil
involontaire à son prédécesseur. Tout fier de son audace,
il a annoncé la suppression prochaine de la taxe professionnelle.
Depuis que Jacques Chirac, premier ministre, a créé en 1975
ce prélèvement que François Mitterrand a très vite affublé du sobriquet
d'«impôt-imbécile», tous les gouvernements, ou presque, depuis trois décennies,
ont fait la même promesse. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer.
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